3 Avril 2024
Natsume Sōseki ( 1867/ 1916 ) est un auteur japonais de romans et de nouvelles, représentatif de la transition du Japon vers la modernité, pendant l'ère Meiji. L'ère Meiji (est une ère de l'histoire du Japon comprise entre 1868 et 1912.
"Oreiller d'herbes" est singulier par son écriture, impressionniste, poétique, et par son projet même. Un peintre se retire dans une auberge de montagne pour peindre et réfléchir sur son art, sur l'acte de création. L'atmosphère subtile et poétique d'"Oreiller d'herbes" est admirablement rendue par les traducteurs.
A propos d’Oreiller d’herbes (Kusamakura, 1906, traduit du japonais par René de Ceccaty et Ryôji Nakamura), Natsumé Sôseki a écrit :
« Si ce roman-haïku (l’expression est certes bizarre) s’avère possible, il ouvrira de nouveaux horizons dans la littérature. Il ne me semble pas que ce type de roman ait déjà existé en Occident. En tout cas, il n’y en a jamais eu de tels au Japon. »
EXTRAIT :
« Quand j’étais petit, il y avait, en face de chez moi, un magasin de saké appelé Yorozuya où se trouvait une jeune fille nommée Okura.
Cette Okura, durant les paisibles après-midi de printemps, pratiquait toujours des exercices de chant.
Chaque fois qu’elle s’y mettait, je sortais dans le jardin.
Au-delà d’un plant de thé de trente mètres carrés, trois pins se dressaient, à l’est de la salle de séjour.
C’étaient des pins très hauts, dont le tronc avait une trentaine de centimètres de circonférence : détail curieux, c’était tous les trois ensemble qu’ils produisaient un effet intéressant.
Malgré mon cœur d’enfant, il me suffisait de contempler ces pins pour ressentir un bien-être.
A leur pied, une lanterne noircie de rouille était toujours obstinément posée sur une pierre rouge inconnue, comme un vieillard têtu.
J’aimais beaucoup observer cette lanterne.
Tout autour, des herbes anonymes du printemps jaillissaient d’une terre profondément imprégnée de mousse, semblant ignorer le vent qui souffle sur le monde d’ici-bas, elles s’amusent en exhalant leur parfum.
A l’époque, j’avais coutume de trouver une place dans ces herbes, juste pour y glisser mes genoux, et m’y tenir immobile.
Mon emploi du temps, à l’époque, me permettait de contempler la lanterne au pied de ces trois pins et de respirer le parfum de ces herbes, en écoutant le chant de mademoiselle Okura au loin.
Natsumé Sôseki, Oreiller d’herbes
Le titre est la traduction littérale d’un nom qui signifie le fait de ne pas dormir chez soi.
Oreiller d’herbes est le récit d’un peintre et poète qui se rend à la montagne à la recherche d’un endroit paisible pour créer :
" Dès que vous avez compris qu’il est partout difficile de vivre, alors naît la poésie et advient la peinture. "
Il dit l’importance de l’art :
« Tout artiste est précieux car il apaise le monde humain et enrichit le cœur des hommes. »
A plus de trente ans, tandis qu’il gravit un sentier de montagne, il est conscient de la proximité inévitable entre la lumière et l’ombre, la joie et la mélancolie, le plaisir et la souffrance.
Il porte une boîte de peinture en bandoulière.
Le chemin est difficile, il trébuche sur une pierre en longeant le lit d’une rivière.
Puis viennent des lacets sur lesquels il avance en écoutant le chant des alouettes, en découvrant un champ de colza « doré ».
« Le printemps nous endort. Les chats oublient d’attraper les souris et les hommes oublient leurs dettes. On oublie alors le lieu de son âme et notre raison s’égare. Ce n’est qu’à la vue des fleurs de colza qu’on s’éveille.
Quand on entend le chant de l’alouette, on reconnaît l’existence de son âme.
Le voilà de plain-pied dans le monde poétique de Wang Wei et de Tao Yuanming (deux grands poètes chinois), où " se promener et errer, ne fût-ce qu’un instant, dans l’univers impassible. C’est une ivresse. "
Le soir, les montagnes franchies, il arrivera à la station thermale de Nakoi.
L’impassibilité, voilà le but de son voyage, loin des passions terrestres.
Aussi, tous ceux qu’il rencontrera, il projette de les considérer comme des « figurants dans le paysage de la nature », de les observer à distance, comme des personnages dans un tableau.
Une averse l’oblige à se réfugier dans une maison de thé signalée par un postillon.
Une vieille femme lui apporte du thé, son visage lui rappelle celui d’une vieille vue sur une scène de théâtre nô ; au fond du bol, « trois fleurs de pruniers sommairement dessinées d’un seul coup de pinceau ».
Un bon feu lui permet de se sécher.
Quand le ciel se dégage, elle lui montre le rocher du Tengu qu’il contemple (il y a souvent de quoi repenser au livre de Le Clézio sur la poésie des Tang).
Le peintre d’Oreiller d’herbes se réfère souvent à des écrivains anglais et à un tableau en particulier, la fameuse Ophélie peinte par Millais.
Un bref arrêt de Gembei, le postillon, conduit la conversation sur « la demoiselle de Nakoi », la fille de Shioda, l’aubergiste, qu’on dit malheureuse comme « la Belle de Nagara » autrefois – une fille de riche famille dont deux garçons étaient amoureux en même temps et qui a fini par se noyer dans la rivière.
A l’auberge de Nakoi, le bruissement des bambous l’empêche de dormir. Il a tout loisir de détailler le décor de sa chambre et de rêver de la Belle de Nagara, quand il entend une voix qui fredonne puis s’arrête : en regardant dehors, il lui semble voir une silhouette au clair de lune, adossée à un pommier pourpre en fleurs, puis disparaître – la fille des Shioda ?
Dans son carnet d’esquisses, il cherche à « résumer en dix-sept syllabes » ses impressions nocturnes, avant de sombrer dans le sommeil.
Quand celui-ci se transforme en « demi-sommeil », il entend la porte coulisser, voit une femme entrer :
« Comme un ange qui marche sur les flots, elle avance sur les nattes sans le moindre bruit. »
Un bras ouvre et referme le placard, la porte se referme. Quand il la rencontrera le matin, sa beauté et l’expression de son visage le laisseront perplexe, et plus encore son ironie quand elle l’invite à aller voir :
« On a fait le ménage dans votre chambre. »
Sous ses propres vers, quelqu’un en a écrit d’autres !
Il faut lire ce texte d’une originalité et d’une poésie absolues, que Sôseki appelait son roman-haïku.
Au printemps, un jeune artiste décide de se retirer dans la montagne, loin des passions et de l’agitation de la cité, rencontre une jeune femme malicieuse et fantasque, rêve de peindre le tableau qui exprimerait enfin son idéal et ne réussit qu’à aligner poème sur poème !
Dans ce manifeste poétique et esthétique, profond, piquant, passionné,
et indigné, Sôseki approfondit sa méditation sur la création et la place de l’artiste dans la société moderne.
« Je ne crois pas qu’un tel roman ait déjà existé en Occident. Il ouvrira de nouveaux horizons à la littérature », prédisait Sôseki en l’écrivant.
Les délicates peintures qui l’accompagnent sont issues d’une édition de 1926 en trois rouleaux, où figurait aussi le texte entièrement calligraphié.
PROPOSITION D'ECRITURE
( faite à l'atelier ARCHITEXTE le mardi 2 avril 2024)
A partir du titre de cet ouvrage et sans tenir compte de son contenu, laissez aller votre imagination.......
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